#54 Se faire cueillir

J'avais dormi comme une masse, assommé par la chaleur de ma chambre. J'ouvrais péniblement mes yeux encore collés, distinguant Jun dans la pénombre.

Nous nous étions textotés pendant que je rentrais de la soirée des mannequins à laquelle François m'avait invité, et d'où je m'étais échappé après un face-à-face dérangeant avec Sven. Jun était du côté de mon appartement, finissant la répétition tardive d'une pièce, et il m'avait attendu au pied de l'immeuble pour un dernier verre et avait finalement dormi ici. J'aime ces nuits volées avec mon meilleur ami, mon indispensable. Il devait retourner répéter et la sonnerie du réveil nous agressait.

Une enveloppe avait été glissée sous la porte de ma chambre et mon cœur fit un bond quand je reconnus l'écriture de Benjamin. Je pourrais reconnaître le style de mon ex parmi dix mille. Il me donnait rendez-vous pour le soir-même du côté de la Madeleine, m'enjoignant à porter un costume.

Après François la veille, c'était visiblement la nouvelle manie de vouloir me faire des surprises. Et de vouloir que je m'habille avec classe. Mais une surprise venant de son ex peut-elle être bonne ? Benjamin, connaissant visiblement à peu près mon heure de réveil, tentait de m'appeler et je décrochais d'une voix pâteuse.

. Indy, j'espère que je ne te réveille pas. Je t'ai laissé un petit mot dans ta boite aux lettres, je suis passé hier mais personne n'était présent à l'appart. Je te demande vraiment comme un énorme service de venir ce soir au rendez-vous. Ce n'est pas un traquenard !

Le préciser n'est déjà jamais bon signe, pensais-je.

Cueilli au réveil, je n'avais pas envie de me questionner ou de lutter. Comme un animal surpris et résigné, j'entrais dans la cage. D'accord, j'y serai. Et il faudra m'expliquer le contexte. Et il ne faudra rien espérer de sentimental. Pour le sexuel, pas de précision.

Le préciser n'est déjà jamais bon signe.

Jun souriait malicieusement, as usual. Il me devançait vers la cuisine pour se préparer un grand verre de jus d'orange quand il m'appela. En le rejoignant, mon cœur fit un nouveau bond. Sven était dans mon salon en train de se rhabiller.

Comment le mec que j'avais planté à la soirée pouvait-il se retrouver à avoir dormi sur mon canapé ? Nos visages à Jun et moi devaient être suffisamment perplexes pour que Sven enchaîne les explications sans que je n'aie rien à demander. Il était venu ici à la fin de la soirée mais je ne répondais pas aux messages, étant déjà endormi. Seb était arrivé au même moment et l'avait reconnu pendant qu'il récupérait le courrier. Alcoolisés tous les deux, mon coloc l'avait fait monter et puisque je dormais à poings fermés, qui plus est avec Jun de l'autre côté du lit, il était resté dormir sur le canapé.

J'allais avoir besoin d'une sérieuse explication avec Seb, à qui visiblement cela ne pose aucun souci de laisser un quasi inconnu dormir dans notre salon. D'autant plus quand ce quasi inconnu est celui que j'ai tenté de fuir quelques heures auparavant.

Il était sexy en diable et sincèrement penaud, mais rien ne pouvait m'attendrir dans cette situation ubuesque. Dès le réveil, j'étais fatigué par la situation et son manque de simplicité. J'avais été clair et il me mettait dans l'embarras. J'avais voulu jouer au début, et désormais je ne maîtrisais plus toutes les règles.

Il me fallait un grand -grand- café pour affronter cette journée, jusqu'à la fameuse soirée avec Ben.